Actualité : la situation en Algérie

Publié le 18/03/2019 à 18:30

Auteur : Noé Girard-Blanc

 © AP Photo / Sidali Djarboub
© AP Photo / Sidali Djarboub

Une brève biographie d’Abdelaziz Bouteflika pour resituer le contexte

 

Abdelaziz Bouteflika, actuel président de l’Algérie, est aujourd’hui âgé de 82 ans. Revenons sur le parcours de cette homme lié très tôt à la politique. A 19 ans, pendant la Guerre d’Algérie et alors que le Front de Libération Nationale (FLN) ordonne à tous les lycéens de se joindre à eux, il s’engage dans l’Armée de Libération Nationale (ALN). Il occupera plusieurs postes au sein de l’ALN avant de devenir le bras droit de Houari Boumediene, commandant de celle-ci. A l’indépendance de l’Algérie (1962), il devient ministre de la Jeunesse et des Sports puis ministre des Affaires étrangères en 1963, à seulement 25 ans. Il occupera ce poste jusqu’en 1979 après avoir aidé Boumediene à prendre le pouvoir en 1965. De 1981 à 1987, il quitte la scène politique et s’exile (en Suisse et en France notamment) alors qu’il est poursuivi par la Cour des comptes pour avoir détourné l’équivalent de 60 millions de francs de plusieurs chancelleries algériennes à l’étranger. Il profite de ces 6 ans pour faire des affaires et s’enrichir. Lorsqu’il revient dans la sphère politique, il est élu au Comité central du FLN.

 

Aux élections présidentielles de 1999, seul candidat, ses adversaires s'étant écartés pour dénoncer les conditions du scrutin, et alors que la guerre civile sévit dans le pays, il obtient son premier mandat. Cette guerre civile qui a commencé en décembre 1991, opposant le gouvernement algérien et différents groupes islamistes, avait été provoquée par l’annulation du second tour des législatives par le gouvernement qui craignait une victoire des islamistes et l’instauration d’une république islamique. De violents combats ont eu lieu durant cette période et l’on dénombre environ 100 000 morts en l’espace de la « décennie noire ». Abdelaziz Bouteflika réussit à apaiser les tensions en tranchant avec la politique précédente qui soutenait une ligne dure pour exterminer tous les opposants : dès son arrivée, il met en place la « concorde civile », loi qui vise à réintégrer dans la société les personnes proches des réseaux terroristes islamistes pendant cette période de guerre civile.

 

Il participe également à l’amélioration de l’économie algérienne en misant sur le pétrole et le gaz (qui représentent aujourd’hui 95% des revenus d’exportation). Fort des mesures sociales entreprises grâce à la prospérité de l’économie algérienne, Abdelaziz Bouteflika est réélu en 2004 (85% des votes) et 2009 (90% des votes officiellement, même si les résultats ont été contestés par ses opposants). En 2013, après un AVC, il disparaît de la scène politique une nouvelle fois mais sera réélu à la tête de l’Etat en 2014 avec plus de 80% des votes (mais 50% d’abstention), sans avoir participé à la campagne. Sa dernière prise de parole publique remonte au 8 octobre 2014. Autrement dit, cela fait 4 ans et 5 mois que les Algériens n’ont pas entendus leur président, même s’il a fait des apparitions muettes depuis. 

 

 

Creds : AFP
Creds : AFP

Dimanche 3 mars 2019

 M. Bouteflika dépose officiellement sa candidature pour briguer un 5ème mandat présidentiel par le biais de son directeur de campagne, puisqu’il est toujours hospitalisé à Genève. Malgré la large popularité qu’il semble entretenir en Algérie, une partie de la population voit d’un mauvais œil sa candidature à l’élection du 18 avril 2019. Depuis le 22 février, des manifestations spontanées et relativement pacifiques voient le jour dans les rues de plusieurs villes algériennes avec pour seul mot d’ordre : « non au 5ème mandat ! ».

 

Alors pourquoi une partie de la population est-elle contre ce 5ème mandat ?

 

L’une des explications serait que M. Bouteflika, président depuis 20 ans, ne réussit pas à satisfaire la part la plus jeune de la population. En effet, celle-ci n’a pas connu la guerre d’Algérie puis la guerre civile (1991-2002, la « décennie noire »), les débuts de M. Bouteflika et sa contribution à l’amélioration du niveau de vie et à la fin de la guerre civile.

 

Ils ne connaissent de lui que sa situation actuelle : un homme de 82 ans, incapable de se présenter en public et qui n’a, selon plusieurs observateurs, plus les capacités de diriger le pays depuis plusieurs années. Certains opposants à Bouteflika osent même avancer que leur président est mort puisqu’aucune preuve de vie n’a été montré depuis le 8 novembre 2018, lors de la commémoration des martyrs de la Guerre de libération nationale. Il serait pourtant, de source officielle, dans un hôpital à Genève.

 

De plus, La situation économique de l’Algérie n’est plus la même que lors des précédentes élections. Pour cause, la chute des cours du pétrole depuis 2014 : en deux ans, le PIB de l’Algérie a reculé de 30%. Pourtant, le gouvernement dépense toujours autant en infrastructures, logements, routes, emplois publics…

 

Il faut néanmoins noter que la plupart des Algériens ne sont pas contre le président Bouteflika mais beaucoup sont contre un 5ème mandat et/ou contre le régime actuel. Ils revendiquent surtout plus de démocratie et de liberté dans un pays où les manifestations sont interdites depuis 2001…même si la police n’est intervenue que rarement dans les contestations qui ont lieu depuis quelques semaines... Un avant-goût de « l’après Bouteflika » ? 

 

Dimanche 3 mars : Dernièr jour pour porter officiellement les candidatures à la présidentielle devant le Conseil Constitutionnel. C’est le directeur de campagne du président sortant qui la déposera car M. Bouteflika est toujours hospitalisé en Suisse.

 

 

© Manuel Braun
© Manuel Braun

A ce jour, quels sont ses opposants ? Face à M. Bouteflika, 6 personnalités ont déposé leur candidature : Rachid Nekkaz, homme d’affaire ; Ali Ghediri, général à la retraite ; Mahfoud Adoul, président du Parti de la Victoire Nationale ; Abdelkader Bengrina, ancien ministre du Tourisme ; Ali Zeghdoud, président du Rassemblement algérien ; et Abdelhakim Hamadi, candidat indépendant. Ali Benflis, principal opposant à Bouteflika, arrivé second aux élections de 2004 et 2014, a quant à lui renoncé à se présenter en 2019 au vu des conditions dans lesquelles le scrutin doit se dérouler.

 

Même si aucun ne semble faire beaucoup d’ombre à Abdelaziz Bouteflika, Rachid Nekkaz, très présent sur les réseaux sociaux (il filme toutes ses apparitions avec son téléphone et les diffuse en live), entraîne des foules de jeunes. Cependant, pour se présenter à l’élection présidentielle algérienne, il ne faut pas avoir ou avoir eu d’autre nationalité. Or, M. Nekkaz a eu la double nationalité franco-algérienne même s’il a abandonné la nationalité française. Il a pourtant trouvé une parade à cette inéligibilité : un homonyme présenté comme son cousin s’est présenté à sa place. Dès son élection, le poste de vice-président sera créé, poste que le « vrai » Rachid Nekkaz occupera. Puis l’homonyme démissionnera, laissant ainsi sa place au vice-président… 

 

Lundi 4 mars 2019

Le président sortant annonce que s’il est réélu, il s’engage à organiser des élections anticipées au bout d’un an auxquelles ils ne se présentera pas afin de « garantir la transition du pouvoir dans des conditions pacifiques et dans une atmosphère de liberté et de transparence » a-t-il déclaré par l’intermédiaire d’une lettre lue par son directeur de campagne, Abdelghani Zaalane. Il mentionne également une conférence nationale qui regroupera toutes les « forces économiques, politiques et sociales », y compris l’opposition, afin de définir un ensemble de réformes et peut-être même changer la Constitution.

 

Dimanche 10 mars

Le président rentre officiellement en Algérie (sur les images diffusées, on n’aperçoit uniquement un cortège de voitures aux vitres teintées). 

 

Lundi 11 mars 2019

M. Bouteflika renonce à briguer un 5ème mandat et avance même qu’« il n’en a jamais été question pour [lui] », évoquant pour raison son « état de santé » et son « âge ». Le président algérien annonce dans la même lettre à la Nation le report des élections, qui auront lieu suite à une conférence nationale chargée de « réformer le système politique » et « d’élaborer un projet de Constitution d’ici fin 2019 ».

 

 

Creds :  AFP
Creds : AFP

Vendredi 15 mars

Les manifestations continuent dans le pays, notamment à Alger (la Capitale) mais aussi à Oran et Constantine (les plus grandes villes après Alger). C’est le 4ème vendredi de mobilisation. Les manifestants voient en ces annonces une manœuvre pour prolonger le mandat de M. Bouteflika sans passer par les urnes et laisser du temps au FLN (le parti au pouvoir) pour organiser « l’après Bouteflika ». Ils sont surtout contre la violation de la constitution : un président ne peut pas, par sa simple volonté, prolonger son mandat (qui est censé expirer le 28 avril 2019). 


Mise à jour du 28  à 19:30

Mardi 26 mars

Le chef d’Etat major, proche du président Bouteflika, appelle à l’application de l’article 102 de la Constitution algérienne. Celui-ci prévoit « l’état d’empêchement » lorsque « le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions ». C’est au président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaiz de réunir son assemblée pour décider de l’application ou non de cette procédure.

 


 

La situation évolue de jour en jour et nous vous en tiendrons informés !