Orchestre philharmonique de Radio France - 6 octobre MC2

Publié le 10/11/2017 à 20:00

Auteures : Manon Vialaneix et Éva Jeanmart 

Creds : Vincent Moisselin
Creds : Vincent Moisselin

       

 

             Le début de ce spectacle fut captivant. Dans le noir, naquit le son d’une flûte traversière sans qu’on sache où était le flûtiste, ce qui laissait libre cours à l’imagination et aux songes de l’auditeur. Le morceau « Syrinx  » de DEBUSSY, a été composé en 1913 pour accompagner une pièce en vers de Gabriel MOUREY, intitulée «  Psyché », relatant l’histoire d’une nymphe et du dieu Pan.

 

            Le spectateur se laissait porter par cette mélodie narrative, qui transmet une ambiance envoûtante, évoquant l’univers des nymphes et des dieux, avec des modes venus d’ailleurs. Elle donne l’impression d’être improvisée : on s’évade dans de grands temps de silence, des rythmes étonnants et un tempo très libre. La diffusion acousmatique de l’oeuvre accentuait considérablement cette sensation de temps suspendu.

 

            Il s’ensuivit « La nuit transfigurée » de SCHÖNBERG, composée en 1899, l’une de ses dernières œuvres tonales. Le compositeur illustre chaque strophe d’un poème de Richard DEHMEL, mettant en scène une discussion entre un homme et une femme errant une nuit en forêt. La femme avoue à son compagnon qu’elle attend un enfant d’un autre homme. C’est ici tout un ensemble à cordes qui transmet de l’émotion au spectateur, comme transporté dans le poème, où il ressent la culpabilité et la souffrance de la femme, notamment par des dissonances. Cette tension évolue jusqu’au passage final, en majeur, où l’on ressent la joie et le soulagement : l’homme a pardonné, l’enfant sera son enfant, la nuit fait place à la lumière. Les différents modes de jeux, comme les bariolages (lorsque les instruments jouent des arpèges sur 3 ou 4 cordes différentes), donnent un côté irréel, véritablement « transfiguré » à cette fin.

 

            La troisième partie est une pièce pour orchestre « Lulu-suite » composée par BERG en 1934, afin de faciliter la diffusion de l’opéra « Lulu », qui met en scène la figure d’une prostituée. C’est un aperçu qui donne très envie de découvrir l’œuvre entière, dont le thème est typiquement expressionniste. Il y a quelques similitudes avec SCHÖNBERG dans les sons employés et quelques dissonances, qui confirment le tournant vers une musique plus moderne et inventive. Le plus surprenant dans cette interprétation est le moment où la chef d’orchestre, Barbara HANNIGAN, qui est aussi une soprano professionnelle, se met à chanter face au public, en même temps qu’elle dirige son orchestre avec une énergie fabuleuse.

 

            Dans la partie suivante, qui est la suite de la comédie musicale « Girl Crazy  » de George GERSHWIN, composée en 1930, on ressent une intensité encore plus grande dans son implication. Elle semble se donner corps, âme et voix. Ce morceau de jazz est plus facile d’accès que les précédents : il est plus dansant, plus joyeux. Les spectateurs ont été très étonnés lorsque tous les musiciens se sont mis à chanter en chœur, tout en jouant, ce qui a transmis une émotion formidable !

 

            Ce spectacle a mis en relation des compositeurs du XXème siècle, qui au premier abord, n’ont pas beaucoup de choses en commun. Toutefois, cette période est une rupture dans l’histoire de la musique, où chaque compositeur cherche sa voie. Ici, nous avons pu avoir un aperçu de quatre orientations différentes : DEBUSSY qui se dirige vers des modes venus d’ailleurs et un temps très libre évoquant l’improvisation, SCHÖNBERG vers une musique narrative et des dissonances qui sont les prémices de la musique atonale, largement explorée ensuite dans l’oeuvre de BERG, tandis que GERSHWIN se laisse séduire par le jazz. Le tout superbement interprété par l’orchestre philharmonique de Radio France. Ce fut une soirée de musique tout à fait originale, tant dans la composition du programme que dans les choix d’interprétation.